Lieux de bouleversement physique et symbolique de notre environnement, le chantier fascine et séduit. Ephémère, étrange, il met en œuvre les capacités de l’homme à maîtriser les éléments, à les faire ployer ou déployer à sa guise. Un mouvement de terrain aux dimensions colossales qui masque souvent les acteurs de ce grand théâtre de la modernité, ces hommes et ces femmes à l’œuvre qui actionnent, orientent, érigent, poussent, meuvent, remuent, balaient et sont le cœur palpitant de cette sublime machinerie. Ce sont ces acteurs discrets, souvent anonymes, aux savoir-faire habituellement imperceptible, que Guillaume Le Baube choisit ici de mettre en lumière.
En coulisse tout d’abord, avec une série de clichés où les corps immobiles s’ancrent dans l’espace et en prennent possession. Ces portraits en pied, posés, de face, ne sont pas sans évoquer les grandes campagnes documentaires des premiers temps de la photographie, au premier rang desquels les Hommes du XXe siècle d’August Sander. Toutefois lorsqu’il s’agit pour le photographe allemand d’identifier des archétypes sociaux, Guillaume Le Baube cherche ici au contraire à identifier ces acteurs du chantier. Le parti-pris du noir et blanc permet ainsi de mettre en retrait les tenues réglementaires aux couleurs vives pour laisser le regard rencontrer la singularité de chaque travailleur.
Des parures hautes en couleurs et entêtantes qui deviennent les costumes de ces acteurs d’un ballet minutieusement réglé lorsqu’ils montent sur leur scène de tôle ou de béton. De jour comme de nuit, dans des partitions solitaires ou collégiales, Guillaume Le Baube observe alors ces travailleurs pris dans une chorégraphie aussi technique que mystique, la danse de la terre.
Raphaële Bertho Historienne de l’Art Maîtresse de conférence en Arts à l’Université de Tours